Interdiction du transfert d’un manteau d’actions et ses conséquences du point de vue de la liberté économique : les nouveaux articles 684a et 787a CO

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À compter du 1er janvier 2025, les articles 684a CO (SA) et 787a CO (Sàrl) prohibent, sous peine de nullité, le transfert de « manteaux d’actions » visant à contourner les règles de création ou de liquidation des sociétés. Si cette réforme vise légitimement certaines pratiques abusives, notamment l’acquisition de sociétés dépourvues d’actifs pour éluder les exigences légales, son application devra éviter des entraves excessives à la liberté économique. Les investisseurs et entrepreneurs devront, dans les cas sensibles, accompagner leurs requêtes au Registre du commerce d’explications étayées, voire de justificatifs, afin de prévenir toute remise en cause au titre de ces nouvelles dispositions.

Contexte général

Le transfert d’un manteau d’actions est une opération consistant à vendre des parts d’une société qui est de facto souvent économiquement liquidée ou n’ayant plus d’activité économique concrète, mais qui n’a pas encore été dissoute juridiquement. Outre le fait de récupérer certains actifs résiduels de la société, souvent sous forme d’argent liquide ou de titres cotés, le repreneur peut ainsi recréer une nouvelle entité sur les bases de l’ancienne en changeant notamment sa raison sociale, son but ou encore le lieu de son siège, tout en évitant les procédures parfois longues et les coûts importants associés à la création d’une société ou à sa dissolution.

Bien que ce mécanisme ait été jugé abusif sur le plan fiscal par le Tribunal fédéral depuis maintenant plusieurs années1, ce dit mécanisme pouvant par exemple être assimilé à une liquidation de la société soumise à un impôt anticipé en cas de bénéfice de liquidation, il ne faisait toutefois pas jusqu’alors l’objet d’une nullité du point de vue du droit civil, les personnes et/ou entités impliquées ne risquant au demeurant qu’un redressement fiscal sans toutefois voir l’entier de l’opération remis en cause.

C’est dans le cadre de la nouvelle loi fédérale sur la lutte contre l’usage abusif de la faillite2 visant à empêcher certains débiteurs indélicats d’échapper à leurs obligations que cette lacune a été corrigée, en introduisant la nullité des ventes de manteaux d’actions afin de limiter les abus liés à ces pratiques qui sont susceptibles de créer une concurrence déloyale portant préjudice aux autres entreprises.

Ainsi, les transferts d’actions ou de parts sociales dans des sociétés en surendettement ou sans activité commerciale concrète seront désormais vus comme un contournement des dispositions applicables à la procédure de faillite ainsi que celles régissant la création et la liquidation des sociétés de capitaux et seront réputés nuls de plein droit, si la société ne dispose d’aucun actif réalisable. L’objectif est de rendre plus difficile l’utilisation de ces mécanismes pour contourner les règles fiscales et commerciales, en prévoyant une identification plus stricte des opérations suspectes et une surveillance renforcée par les autorités compétentes, comme le Registre du commerce.

A cet égard, la loi fédérale sur la lutte contre l’usage abusif de la faillite a également impliqué la modification de l’Ordonnance sur le Registre de Commerce par l’introduction d’un article 65a ORC3 donnant ainsi aux Préposés au Registre du commerce la possibilité de refuser des réquisitions d’inscriptions dissimulant à son sens le rachat d’un manteau d’actions tombant sous le coup des articles 684a CO (SA) ou 787a CO (Sàrl)4.

La marge d’appréciation laissée aux Préposés au Registre du commerce par l’article 65a ORC étant assez importante, c’est ici que ces nouvelles dispositions, si elles devaient être appliquées trop strictement, pourraient porter atteinte à la liberté économique en restreignant de manière trop importante les opérations de rachat d’actions réellement motivées par la volonté de restructurer une société en difficulté afin de lui faire retrouver une activité économiquement pérenne.

Risque d’atteinte à la liberté économique

L’entrée en vigueur des articles 684a CO (SA) ou 787a CO (Sàrl) a l’avantage de réduire les risques d’abus dans les opérations de rachat de participations majoritaires en favorisant la bonne application des procédures commerciales en matière de création et de liquidation des sociétés de capitaux. En rendant certaines opérations abusives nulles de plein droit, la loi vise à limiter les stratégies permettant de contourner les obligations légales, apportant ainsi une protection accrue contre la fraude et assurant une saine concurrence.

C’est toutefois du point de vue de l’application concrète de ces nouvelles dispositions que des préoccupations légitimes peuvent surgir.

D’une part, l’article 65a ORC énumère plusieurs cas de figure dont la survenance devrait conduire les Préposés au Registre du commerce à suspecter l’existence d’une vente de manteau d’actions, par exemple lorsque plusieurs faits inscrits, notamment le but, le siège, la raison sociale et les membres du conseil d’administration, ont été simultanément ou successivement modifiés (alinéa 1, lettre a).  Dans un tel cas, les Préposés au Registre du commerce sont en droit d’exiger de la société la remise des comptes annuels, voire du rapport de révision, et peuvent consécutivement sur la base de ces documents, constater que la société est surendettée et/ou n’a plus d’activité commerciale

Même si la procédure prévue par l’article 65a ORC semble bien circonscrite, on ne peut exclure un contrôle excessif et parfois arbitraire, particulièrement lorsque des modifications au demeurant parfaitement légitimes, comme un changement de siège, de raison sociale et d’administrateurs survenant à la suite d’un rachat suivi de restructurations commandées par les circonstances (par exemple lorsque une société dispose de perspectives économiques positives non exploitées en raison d’une mauvaise gestion), sont d’emblée présumés comme suspects.

En outre, si ces nouvelles tâches ne sont pas assorties de nouveaux moyens alloués aux Registres du commerce cantonaux, cela pourrait engendrer une surcharge administrative importante, retardant l’efficacité du système et risquant de créer des suspensions provisoires et des retards dans les enregistrements impactant l’activité économique des sociétés considérées, voire même la compétitivité de la place économique suisse dans son ensemble.

Malgré les bienfaits évidents de cette réforme, elle comporte donc des risques de lourdeur procédurale qui devront être pris en compte pour assurer son efficacité réelle.

Conseils aux investisseurs

Les nouveaux articles 684a CO (SA) ou 787a CO (Sàrl) devraient clairement mettre un terme à certaines pratiques qui pouvaient subsister et qui consistaient à racheter des « sociétés coquilles » pour contourner les dispositions applicables en matière de création des sociétés de capitaux, notamment les exigences en matière de capital minimum.

Hormis le fait que ces pratiques avaient pour conséquence d’instaurer une certaine forme de concurrence déloyale envers ceux qui, pour leur part, ont respecté les procédures de création et de liquidation des sociétés de capitaux, elles pouvaient aussi parfois réserver de mauvaises surprises aux investisseurs, respectivement entrepreneurs, ayant choisi cette option dans l’espoir d’en tirer un avantage financier.

En effet, nonobstant l’entrée en vigueur de ces dispositions, l’investisseur, respectivement l’entrepreneur bien conseillé, se détournait généralement de ces pratiques faussement avantageuses, ne serait-ce qu’en raison de l’impossibilité de déterminer la situation économique de la « société-coquille » avec certitude, à défaut de disposer de comptes audités, généralement non disponibles dans de tels cas de figure ; le risque d’apparition de dettes cachées et non identifiables au moment du rachat venant au final annihiler tout avantage financier à choisir cette option.

Ces nouvelles dispositions qui sont, certes, bienvenues sur le principe imposent désormais à l’investisseur, respectivement l’entrepreneur diligent, de ne pas se contenter de requêtes sommaires au Registre du commerce et d’assortir ces dernières d’explications complémentaires sur le projet d’investissement envisagé, éventuellement accompagnées de pièces justificatives, dans les cas de rachat de participations pouvant tomber sous le coup des articles 684a CO (SA) ou 787a CO (Sàrl), respectivement de l’article 65a ORC, interprétés de manière large, sous peine de voir sa demande fortement ralentie voir même rejetée dans certains cas.

1 ATF 2C_176/2008 consid. 5 du 26 août 2008

2 RO 2023 628

3 RS 221.411

4 RS 220

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