Adoptée en décembre 2024, la révision ciblée du Code des obligations entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Elle renforce la protection des maîtres d’ouvrage et des acquéreurs tout en clarifiant plusieurs mécanismes clés du droit de la construction. Parmi les mesures phares : un délai minimal de 60 jours pour la dénonciation des défauts, un droit impératif à la réparation, et une facilitation des garanties de substitution à l’hypothèque légale. Ces changements, bien que ciblés, auront un impact concret sur la pratique contractuelle des promoteurs, entrepreneurs et propriétaires, qui gagneront à anticiper leur application dès 2025.
Contexte général
Le secteur immobilier, et plus particulièrement celui de la construction, évolue dans un cadre juridique dense, où se croisent une multitude d’acteurs aux intérêts parfois divergents. Si la liberté contractuelle reste un pilier de notre droit, elle a montré ses limites : face à des entrepreneurs aguerris et à des vendeurs expérimentés, les maîtres d’ouvrage et les acquéreurs se retrouvent parfois désavantagés.
Pour répondre à ces déséquilibres, le législateur fédéral a entrepris une réforme ciblée du Code des obligations, adoptée en décembre 2024 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Sans bouleverser l’ensemble du système, cette révision introduit toutefois des ajustements importants, visant à renforcer la protection des maîtres d’ouvrage et des acquéreurs en matière de défauts de construction.
Pour les promoteurs et autres acteurs membres d’associations professionnelles, déjà habitués à travailler dans un cadre contractuel clair et respectueux des bonnes pratiques, cette réforme constitue avant tout une clarification bienvenue. Elle devrait contribuer à sécuriser les relations contractuelles et à réduire une insécurité juridique souvent constatée dans la pratique.
1. Nouveau délai pour la dénonciation des défauts : 60 jours minimum
Le droit actuel et ses rigueurs
Le régime actuel impose au maître d’ouvrage et à l’acquéreur de dénoncer les défauts « aussitôt » après leur découverte. La jurisprudence a interprété cette exigence de manière particulièrement stricte, fixant le délai à sept jours en principe, voire moins lorsque le défaut risque de s’aggraver. Passé ce délai extrêmement court, l’ouvrage est réputé accepté et l’ensemble des droits de garantie sont perdus.
Cette rigueur, largement critiquée en doctrine et dans la pratique, se révèle disproportionnée au regard de la complexité des ouvrages immobiliers. Les défauts apparaissent fréquemment de manière progressive et nécessitent une analyse technique préalable avant de pouvoir être dénoncés de manière précise. De plus, la charge de la preuve du respect du délai repose sur le maître d’ouvrage ou l’acquéreur, ce qui accroît fortement le risque de déchéance.
La solution retenue : un délai impératif de 60 jours minimum
La réforme fixe désormais une règle claire : le délai pour l’avis des défauts est désormais d’au minimum 60 jours, applicable aussi bien aux contrats d’entreprise qu’à la vente immobilière. Il court dès la découverte du défaut, qu’il soit apparent ou caché.
Ce délai constitue un plancher impératif : toute clause contractuelle prévoyant un délai plus court est nulle en vertu des articles 367 al. 1bis et 370 al. 4 nCO, en lien avec l’article 20 al. 2 CO. Les conventions plus favorables demeurent toutefois possibles ; ainsi, le délai de deux ans prévu à l’article 172 al. 1 de la Norme SIA 118 reste valable.
Relevons toutefois que la Norme SIA 118, dans sa version actuelle, impose une dénonciation immédiate des défauts, « aussitôt après leur découverte », entre la troisième et la cinquième année (art. 179 SIA 118). Cette disposition devra être adaptée pour se conformer au nouveau régime légal.
Le devoir de limiter le dommage
L’allongement du délai ne dispense pas pour autant l’acquéreur ou le maître d’ouvrage de son obligation de limiter le dommage. En application du principe général de la bonne foi (article 2 al. 1 CC), il demeure tenu de signaler sans délai tout défaut susceptible de s’aggraver ou de générer des coûts supplémentaires s’il n’est pas traité rapidement.
Ce devoir de diligence permettra d’éviter les abus et garantit que le délai de 60 jours ne serve pas de prétexte à une passivité préjudiciable.
En pratique, cette réforme réduit nettement les risques de perte de droits liés à des délais trop courts, tout en maintenant une exigence de vigilance raisonnable pour protéger les parties concernées
2. Un droit impératif à la réfection pour tous les acquéreurs
Les insuffisances du système actuel
Jusqu’ici, les droits de garantie dépendaient du type de contrat. L’acquéreur d’un immeuble disposait uniquement du droit à la réduction du prix et, en cas de défaut grave, du droit à la résiliation du contrat. Il ne pouvait pas exiger la réparation de l’ouvrage. Le maître d’ouvrage, en revanche, bénéficiait d’un droit à la réfection.
Face à cette asymétrie, la pratique a développé des clauses par lesquelles le vendeur excluait sa responsabilité tout en cédant à l’acquéreur ses propres droits à la réparation contre les entrepreneurs. Ces montages, juridiquement fragiles, se révèlent le plus souvent inefficaces en pratique.
L’acquéreur se trouvait contraint d’identifier et de poursuivre plusieurs intervenants, d’assumer les coûts d’expertises techniques et de supporter le risque d’insolvabilité des entrepreneurs. S’ajoutaient à cela des incertitudes quant au point de départ de la prescription et à l’opposabilité des clauses limitatives de responsabilité stipulées dans les contrats d’entreprise.
En définitive, la cession des droits de garantie constituait davantage un mécanisme d’exonération pour le vendeur, plutôt qu’une véritable protection pour l’acquéreur.
Un droit impératif à la réparation
La réforme change profondément la situation en instaurant un droit impératif à la réparation pour tout défaut affectant une construction. Ainsi, ni le vendeur ni l’entrepreneur ne peuvent désormais se soustraire contractuellement à cette obligation. Toute clause visant à limiter ou à exclure ce droit est nulle.
En matière de vente immobilière, ce droit s’applique à tous les immeubles neufs ou quasi neufs, c’est-à-dire achevés depuis moins de deux ans avant la vente ou encore en chantier au moment de la conclusion du contrat. Le vendeur doit réparer les défauts à ses frais, dès lors que la réparation est techniquement possible et économiquement raisonnable.
Pour les contrats d’entreprise, le principe demeure identique : l’entrepreneur reste responsable des défauts et ne peut céder ses droits de réparation au maître d’ouvrage pour se dégager de ses obligations. Il lui revient donc de sélectionner avec soin ses sous-traitants et partenaires, tant sur le plan technique que financier, afin de garantir l’exécution effective des réparations.
Dès lors, la situation s’inverse : il n’est désormais plus dans l’intérêt de l’entrepreneur de céder ses droits de garantie au maître, puisqu’il supporte lui-même le risque et le coût de l’élimination des défauts. Une telle cession pourrait même l’empêcher de se retourner contre ses sous-traitants au moment où le maître exigera la réparation. Cette évolution consacre une innovation essentielle introduite par le législateur.
Cette innovation introduite par le législateur renforce les droits des acquéreurs et maîtres d’ouvrage, tout en responsabilisant davantage les vendeurs et entrepreneurs. Elle met fin à des pratiques contractuelles parfois peu protectrices et transforme un droit souvent théorique en obligation concrète.
3. Hypothèque légale et garanties de substitution : une solution enfin praticable
L’impossibilité pratique du droit actuel
Les artisans et entrepreneurs disposent d’un outil de garantie efficace : l’hypothèque légale prévue à l’article 837 al. 1 ch. 3 CC, qui leur permet de requérir l’inscription d’une hypothèque sur l’immeuble pour lequel ils ont fourni du travail ou des matériaux.
En théorie, l’article 839 al. 3 CC autorise le propriétaire à éviter cette inscription en fournissant des « sûretés suffisantes ». Mais dans la pratique, cette possibilité est devenue quasi inopérante.
La jurisprudence du Tribunal fédéral1 a posé des exigences telles que cette substitution est devenue pratiquement impossible. Les sûretés alternatives doivent offrir une couverture strictement équivalente à l’hypothèque légale, tant qualitativement que quantitativement.
La difficulté réside dans la question des intérêts moratoires. Comme l’article 104 CO ne fixe aucune limite temporelle, le Tribunal fédéral a jugé que toute garantie de substitution devait couvrir soit un montant illimité, soit une durée illimitée. Une garantie bancaire standard, même généreuse, ne satisfait donc pas à ces exigences si elle demeure limitée dans le temps et dans son montant. Il devenait dès lors impossible de déterminer à l’avance le montant des sûretés nécessaires, ce qui bloquait la possibilité de substitution dans la plupart des cas.
Une solution pragmatique : dix ans d’intérêts moratoires
La modification de l’article 839 al. 3 CC prévoit désormais que les sûretés de substitution doivent couvrir, en plus de la somme due, les intérêts moratoires sur une période de dix ans. Cette limitation temporelle rend le montant des sûretés déterminable et permet ainsi de chiffrer une garantie bancaire ou d’évaluer précisément la valeur des sûretés réelles nécessaires.
Cette modification améliore sensiblement la situation des propriétaires fonciers sans porter atteinte aux intérêts des artisans et entrepreneurs, les intérêts moratoires dépassant rarement dix ans dans la pratique.
Au-delà de l’aspect temporel, l’exigence d’une équivalence qualitative des sûretés demeure une question centrale. Une garantie bancaire présente souvent des avantages économiques significatifs et offre au créancier un accès plus simple et plus rapide aux fonds qu’une réalisation de gage immobilier.
En facilitant le recours aux garanties bancaires, la réforme profite à la fois aux propriétaires — qui peuvent éviter l’inscription d’une hypothèque légale — et aux créanciers, qui bénéficient d’une forme de garantie plus souple et souvent plus efficace.
4. Prescription : maintien du délai de cinq ans
La réforme ne modifie pas la durée du délai de prescription, qui reste fixée à cinq ans. Ce délai court à compter de la livraison de l’ouvrage pour les contrats d’entreprise, et du transfert de propriété pour les ventes immobilières.
Il s’agit d’un délai impératif. Il ne peut être réduit contractuellement au détriment du maître d’ouvrage (article 371 al. 3 nCO) ou de l’acheteur (article 219a al. 3 nCO).
5. Droit transitoire : anticiper dès maintenant les nouveaux contrats
Les contrats d’entreprise et de vente immobilière conclus avant le 1er janvier 2026 resteront régis par l’ancien droit. À l’inverse, les contrats signés à compter de cette date seront soumis aux nouvelles dispositions.
Les parties conservent néanmoins la possibilité d’anticiper la réforme en intégrant volontairement ces nouvelles règles dans leurs conventions conclues avant l’entrée en vigueur.
En pratique, une distinction devra donc être opérée entre les contrats déjà exécutés ou en cours avant 2026 – qui continueront d’être régis par l’ancien régime – et ceux dont les effets interviendront après l’entrée en vigueur, qui relèveront du nouveau régime.
Cap sur 2026
Cette révision ciblée du Code des obligations marque un progrès notable dans l’évolution du droit immobilier suisse. Elle corrige des déséquilibres manifestes, renforce la protection des maîtres d’ouvrage et des acquéreurs, et apporte des solutions pragmatiques à des difficultés pratiques bien identifiées.
L’allongement du délai d’avis des défauts, l’instauration d’un droit impératif à la réparation et la facilitation de la substitution de l’hypothèque légale constituent des avancées significatives. Ensemble, elles contribuent à clarifier les relations contractuelles et à accroître la sécurité juridique dans le secteur de la construction.
Pour les professionnels – promoteurs, maîtres d’ouvrage ou vendeurs – ces changements appellent une vigilance accrue dans la rédaction des contrats, notamment pour ceux conclus en 2025. Anticiper dès à présent ces nouvelles règles permettra d’assurer une transition fluide et de limiter les risques juridiques lors de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2026.
1 notamment l’ATF 142 III 738

Philippe Angelozzi
Avocat

Maÿlis De Sandol-Roy
Avocate-Stagiaire
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